« Grasse n’a pas toujours eu cette odeur agréable. Elle puait », m’a dit mon nez. « C’était une ville de tannage de cuir et la puanteur était insupportable. Le premier parfum produit était destiné aux gants de créateurs. L’eau de rose masquait cette odeur nauséabonde. Catherine de Médicis les a recommandés. Et Grasse est rapidement devenue la capitale mondiale du parfum. »
On m’a fait visiter l’Atelier des Parfums Galimand. Mon nez était un expert en parfums et un pétrochimiste professionnel.
Comment est née l’industrie du parfum à Grasse
Depuis quatre cents ans, ce petit village situé au pied des Alpes-Maritimes, au-dessus de la côte méditerranéenne française, est le centre de l’industrie internationale de la parfumerie. C’est là qu’a été inventé en 1922 le « Chanel N°5 », le premier parfum à utiliser des matières synthétiques, l’aldéhyde. Mais chaque année, vingt-sept tonnes de jasmin sont récoltées dans les environs et utilisées par les « fumeries » locales. Il y a également un marché hebdomadaire sur la place inspirée de Gênes, une fête de la rose en mai et une fête du jasmin en août. Et les parfumeries sont plus fréquentées que jamais.
Ma visite de la parfumerie s’est poursuivie jusqu’au musée, au troisième étage de l’usine Fragonard aux murs jaunes, où l’on m’a donné un nouveau nez qui m’a invité à respirer profondément. « Vous vous trouvez dans l’endroit le plus parfumé de la terre », m’a informé mon nez. « Vous pouvez sentir le monde entier d’ici. Les odeurs les plus fines que la terre puisse produire. »
Les premiers parfumeurs français transportaient leurs cuves de distillation primitives et très rudimentaires dans les montagnes autour de Grasse à l’aide de charrettes tirées par des ânes. Ils cueillaient des fleurs sauvages et en extrayaient les parfums sur place, à l’air libre, en faisant cuire les plantes à la vapeur dans de grands chaudrons de cuivre. L’alambic fut introduit d’Arabie et un moine italien, Mauritius Frangipani, découvrit que les parfums pouvaient être conservés dans l’alcool.
En 1759, grâce au savoir-faire des pommadeurs montpelliérains, les Grassois fournissent les matières premières aux parfumeurs parisiens. L’activité se développe et Grasse produit bientôt des savons parfumés à l’iris, à la jacinthe et à la rose dans des contenants spéciaux. Antoine Chiris fonde à la fin du siècle l’une des premières parfumeries de la ville. On trouve aujourd’hui sur le marché trois fois plus de parfums artificiels que de parfums naturels. Environ six mille huiles essentielles sont utilisées par l’industrie cosmétique.
Sentez le monde à Grasse
Mon nez s’est pâmé et a déversé ses arômes. « Roses de Turquie cueillies à l’aube, fleur d’oranger d’Egypte, lavande des plateaux de Haute Provence, mimosa sauvage sans pétales local, ylang-ylang de Madagascar, citrons de Californie, bergamote de Calabre, pamplemousse d’Israël, vanille de l’océan Indien, coriandre de Russie, encens de Somalie, santal du Sri Lanka, clous de girofle des Philippines, gingembre du Japon, cèdre du Kenya, iris d’Italie, cardamome du Guatemala, géranium d’Afrique du Sud… »
Si vous voulez sentir le monde, il vous suffit de venir sur la Côte d’Azur.
Les amateurs de parfums adoreront le Musée international de la parfumerie, une rénovation moderne et vitrée d’un hôtel du XVIIIe siècle. Il regorge d’accessoires de fabrication de parfums, de « stations olfactives », de « fontaines à essence » et de « traînées de vapeur ». Il raconte l’histoire de la distillation, de l’absorption, des solvants volatils au dioxyde de carbone supercritique et comment il est devenu possible de sentir comme Beyoncé et Lady Gaga.
L’industrie du parfum à Grasse aujourd’hui
Aujourd’hui, l’industrie du parfum à Grasse emploie plusieurs milliers de personnes. L’industrie cosmétique mondiale est estimée à 72,7 milliards de dollars. Quatre usines de Grasse sont ouvertes au public et des visites guidées expliquent la succession de lavages, filtrations, purifications, évaporations et imprégnations qui constituent le processus de production très complexe et minutieux. Tout cela est supervisé par un expert que l’on surnomme affectueusement « Le Nez en Chef » ou « Le Compositeur ».
Le Musée international de la Parfumerie, ouvert en 1989, abrite une collection d’amphores anciennes et de flacons bouchés provenant de manufactures célèbres comme Lalique et Baccarat. Sont également exposés le coffret de voyage de Marie-Antoinette et des « châtelaines », des flacons de parfum privés sur chaîne.
Quelqu’un a calculé un jour que plus de 85 de ses produits sont achetés chaque seconde, chaque jour. C’est une statistique à ne pas négliger.
Faits surprenants sur les parfums
L’histoire du parfum réserve quelques surprises. Les astronautes russes sont allés dans l’espace avec des fioles remplies de parfum et d’huiles essentielles pour se souvenir de leur pays. Depuis sa plus ancienne utilisation documentée, le parfum a mis l’homme en contact avec les cieux. Le mot « parfum » dérive du latin « per fumum » qui signifie « à travers la fumée ». Les Grecs et les Égyptiens de l’Antiquité brûlaient des substances aromatiques dans leurs temples pour apaiser les dieux et masquer l’odeur de la chair brûlée lors des sacrifices humains.
À mesure que le christianisme se répandait, le parfum était considéré comme une vanité, jusqu’à ce qu’il soit remis au goût du jour par les croisés de retour du Moyen-Orient. À l’époque des Tudor, les Européens se saupoudraient les cheveux de graines de lys d’Afrique à l’odeur agréable pour se protéger des poux.
Les parfums se répartissent en trois catégories principales : les parfums floraux, orientaux et océaniques. Parmi les parfums les plus vendus, on trouve « Chanel N° 5 » de Chanel, que portait Marilyn Monroe (« et rien d’autre »), « Envy » de Gucci, « Organza » de Givenchy et « Obsession » de Calvin Klein.
Il existe des ateliers de parfumerie à Grasse, notamment chez Molinard et Fragonard. Vous pourrez y créer votre propre parfum unique. Comme l’a dit un jour Georgio Armani : « Pour ceux qui vivent avec style et élégance, s’habiller est un rituel. L’acte final de ce rituel est le parfum. »
Par Kevin Pilley, l’écrivain de voyage le plus publié du Royaume-Uni, carrément décalé !