Alors que le soleil se couche sur la Côte Vermeille, les habitants de Collioure sortent pour répandre leur magie et leur chaos. Les nuits se déroulent ici comme des intrigues shakespeariennes : déroutantes, surréalistes et avec des conséquences hilarantes. Le casting des acteurs est infini. Le genre se situe quelque part entre le comique et le tragique. Une seule chose reste sûre : si vous êtes en ville et que vous espérez une soirée tranquille, eh bien, vous vous êtes trompé de ville.
Si c’était Le Songe d’une nuit d’été, alors mon Puck serait Max. Espiègle (mais jamais au point d’être malveillant), il jette un œil alacrite sur les événements de la nuit, prêt à attiser tout scandale ou intrigue potentielle. Ma première rencontre avec Max s’est produite peu de temps après notre arrivée ici. C’était une de ces délicieuses soirées d’été où le ciel retient fermement le soleil couchant et où un certain frisson pique l’air. Nous étions désemparés. Nous avons décidé de faire une promenade en ville et nous sommes dirigés, comme tout le monde, vers le Café Sola. Le Sola se trouve au centre-ville et est à toutes fins utiles le centre de la vie de Collioure. En temps normal, vous pouvez commander un café ou une bière et vous délecter du voyeurisme de la vie quotidienne.
Cette nuit-là, les habitants du coin faisaient la fête en toge. C’était comme si nous étions entrés sur le plateau de Carry on Cleo bien après que les caméras aient arrêté de tourner. De vastes bols de punch étaient remplis, légitimement ou non, et vidés à une vitesse alarmante. Des parties de corps au hasard dépassaient des draps de lit hâtivement épinglés sur des corps catalans en sueur. Des gobelets en plastique étaient fourrés dans nos mains. Je buvais sans hésiter. Autour de nous, les gens tombaient comme des mouches (de bar). Le personnel avait l’air hanté de ceux qui ont été témoins d’une grande parodie. Pendant ce temps, la fanfare de Collioure continuait à jouer, comme j’imagine que la fanfare du Titanic avait fait naufrage, mais avec moins de talent et d’espoir, à bien y penser. Ils sont légendaires à Collioure, moins connus pour leur talent de musicien et leur capacité à jouer le même air à tout moment, que pour leur habileté à fumer, boire et klaxonner simultanément. Des panaches de fumée sortaient de leurs cuivres comme un avertissement apache. Nous avons décidé qu’il était temps de nous sauver. En sécurité dehors, nous avons remarqué une silhouette en toge qui s’approchait, traînant derrière elle quelque chose d’encombrant. À mesure qu’il s’approchait, il devint évident ce qui le suivait. Il avait apporté sa propre cocotte à la fête. Sur un skateboard. « Max », dit-il. « . »
Max est à Collioure autant que la tour Cloché, que le soleil lucide. Grand, astucieux et avec un nuage de cheveux blancs, il patrouille la ville comme une sentinelle amicale, les mains fermement jointes derrière son dos. Vous avez entendu parler de quelqu’un qui a une étincelle dans les yeux. Les bleus méditerranéens de Max scintillent comme deux roues de Catherine. Ces yeux voient tout, se délectent de tout… mais surtout des formes féminines. Son affection pour les dames est bien documentée et les histoires de lui s’abritant dans des tonneaux de vin des mains de maris méprisés ne manquent jamais de me chatouiller. À notre mariage (auquel je dois ajouter qu’il a assisté en kilt complet, en véritable Écossais honoraire), il est arrivé avec un sporran rempli de préservatifs et une bouteille d’alcool maison, prêt à courtiser les demoiselles en visite. L’homme a 70 ans. Il sort maintenant fièrement avec la charmante Françoise, une femme tout aussi chaleureuse et avec une collection de lunettes de soleil vintage convoitées.
Son histoire est remarquable. Né dans ce qui est aujourd’hui un bar, il arpente les rues de Collioure depuis des dizaines d’années. De telles racines colliouréniennes laissent supposer qu’il déplore l’afflux d’étrangers, qu’il les considère comme une faille dans le joyau de la Catalogne française. Au contraire, son accueil a été bienveillant. Je ne suis pas naïf. Je suis sûr que pour lui, nous sommes une source de divertissement, de simples pions à manipuler dans les jeux pervers qui se jouent dans son esprit. Derrière chaque mot sympathique adressé à nous, il y a un sous-texte diabolique, une tournure de phrase impénétrable qui nous échappe mais qui alimente le feu dans ses yeux. Quoi qu’il en soit, son amour pour la ville, pour ses habitants et pour la vie elle-même est grand. Régulièrement, nous sommes invités chez lui, pour goûter à des spécialités catalanes telles que le ou le , tandis qu’il nous régale d’anecdotes sur des tentatives d’assassinat, des chiens perdus en mer. J’étais fier d’être présent à la fête désormais légendaire qu’il organisait, où l’orchestre de fanfare a joué avec tant de courage que cela a poussé les clients de l’hôtel à fuir la ville et a valu à Max une visite de police et une lourde amende. Il a posté l’amende sur sa page Facebook avec toute la fierté d’un « selfie » d’un adolescent de 15 ans. (Un coup de fouet hâtif de la part de l’orchestre a permis à son portefeuille de se remplir et à sa réputation d’être intouchable.)
Si Françoise est son premier amour, son deuxième est sans conteste son bateau. Il aime pêcher le calmar. Je le qualifierais moins de pêcheur que de chuchoteur de calmars. Alors que d’autres sillonnent les eaux en vain, lui revient avec une prise bien remplie et une soif de vin. Son amour pour le calmar est tel qu’il s’est même déguisé en calmar le soir du Nouvel An, dans un costume qu’il avait confectionné lui-même à la machine à coudre bon marché. Mon fils de quatre ans a eu la chance de participer à l’une de ces sorties de pêche au calmar l’année dernière. Il est revenu les yeux aussi grands que des assiettes. L’âme enflammée et avec une fierté fiévreuse, il nous a remis notre souper du soir. Ce fut pour lui une leçon inoubliable sur la façon dont la nourriture arrive dans nos assiettes.
Son bateau est aussi le théâtre d’un de mes plus beaux souvenirs de Collioure. Il y a quelques étés, Max nous a emmenés, avec quelques amis, faire une excursion en bateau de minuit jusqu’à la ville voisine d’Argelès. L’eau était étrangement calme et semblait briller comme si elle était éclairée de l’intérieur. Le croissant de lune effleurait la surface comme une boule de Noël suspendue. Le bateau sillonnait l’étendue sans effort comme un cheval de trait chevronné. Tout le monde était silencieux. Nous buvions du champagne directement à la bouteille et savourions la brise salée sur nos visages. Avec Max à la barre, nous nous sentions en sécurité, heureux. C’était tout à fait magique et un souvenir que je revisite souvent.
Grâce à cette bienveillance, Max est devenu un ami cher à ma famille et à une grande partie de la communauté anglophone, malgré notre maîtrise flasque de la langue française. Sa mère a hébergé des soldats britanniques pendant la guerre. J’aime à penser que sa légende perdure dans l’aile protectrice qu’il nous offre lorsque nous trébuchons. Il m’a appris d’innombrables fois et de multiples façons que la vie, en fin de compte, doit être appréciée.
Un verre pour toi, Max.
Kirsten Mackintosh est originaire d’Écosse. Elle vit à Collioure avec son mari, vigneron, et ses deux enfants. Elle possède un atelier d’art et s’intéresse vivement à la cuisine, notamment à la pâtisserie. Site Web de Kirsten : www.ateliermackintosh.com